La guerre OTAN-BRICS
La question ne se pose-t-elle pas de manière térébrante ? En effet, nous avions depuis près de deux ans une guerre OTAN-Russie, un conflit total qui visait à mettre l’adversaire à genoux aux dires de certains. Mais dans les circonstances que nous connaissons, une alternative à la domination impériale anglo-saxonne a fait florès. Les BRICS, qui n’étaient qu’un assemblage hétéroclite, ont réussi à convaincre un certain nombre d’acteurs dans le monde de se regrouper dans un système moins contraignant et surtout dans lequel les règles, bien moins nombreuses, sont figées et ne varient pas au gré des humeurs du leader. Ce modèle attire bien des pays initialement soumis à l’Occident qui ne rêvaient sûrement pas de son idéal politique, mais de son niveau de vie, voire nécessitaient sa protection vis-à-vis d’intérêts divergents.
Face à cette dérive dangereuse pour son hégémonie, l’Empire semble avoir décidé d’employer la manière forte en déclenchant des conflits visant directement les BRICS. Ce qui se passe en Israël paraît être un pas supplémentaire sur un chemin qui pourrait se révéler catastrophique pour la planète entière in fine.
On s’étonnera, comme beaucoup, que les services israéliens n’aient soi-disant rien vu venir. On sait manifestement que l’information était remontée, mais qu’elle n’a pas été prise en compte. Peut-être un jour apprendrons-nous exactement pourquoi, mais c’est très loin d’être sûr et cela dépendra, comme toujours, de qui sera le gagnant.
Que constatons-nous ? Israël veut déclencher une offensive terrestre. L’Iran signifie que si tel est le cas, il sera contraint de réagir militairement. Nous sommes donc dans une escalade potentielle qui pourrait embraser tout le Moyen-Orient et impliquer bien des acteurs. Du côté américain, il est important de redorer son blason qui a été plus que terni par le conflit ukrainien. Écraser, en conséquence, des Palestiniens à Gaza, ne relève pas de l’exploit, mais de la communication sanglante, comme d’habitude si l’on ose dire (Irak, Afghanistan, Libye, Serbie, etc.). Rappelons-nous aussi de cette volonté, au début des années 2000, de redessiner la zone et qui, à ce jour, est un échec. Voilà une bonne raison supplémentaire d’intervenir. Mais il reste un problème majeur qui est l’Iran, et ce depuis au moins 1953. Il est sûr que l’entrée de ce dernier dans les BRICS le normalise et va lui permettre une croissance économique importante. Les paranoïas anglo-saxonne et israélienne contre cet État sont telles que l’on peut décemment penser que c’était un chiffon rouge agité de trop. Puisque l’arrivée officielle ne se fera qu’au début de 2024, peut-être a-t-on songé qu’il y avait encore une chance d’éviter cela. Nous sommes donc au bord d’un conflit qui implique d’ores et déjà Israël, les USA et l’Iran et, comme l’on dit, plus si affinités. Il va de soi que l’OTAN sera mobilisée pour cela. Côté BRICS, a priori, il n’y aura pas de coalition, mais l’ironie de l’histoire pourrait renvoyer à l’Occident la monnaie de sa pièce : des Russes et/ou des Chinois qui ne participeraient pas à l’affrontement, mais fourniraient massivement des matériels de guerre sophistiqués sans oublier bien sûr la mise à disposition des moyens de C4ISR pour guider les drones, les missiles, etc., et tout en restant dans les zones internationales. L’OTAN étant loin de ses bases et devant intervenir via des porte-avions et leurs groupes aéronavals, dans le cadre d’une hostilité relativement longue où l’aide au régime des mollahs se ferait crescendo, on pourrait atteindre un niveau où la technologie hypersonique serait transférée en accéléré aux Perses ce qui permettrait de détruire au moins 2 groupes aéronavals en totalité ; une sorte de Trafalgar à l’envers pour l’Anglo-Saxonnie.
N’oublions néanmoins pas Taïwan ! Déjà, le manque de confiance américain dans le devenir de ce territoire s’est exprimé au grand jour en rapatriant une partie du savoir-faire de l’île en matière de circuits électroniques. Mais c’était peut-être peine perdue quand on voit la dernière puce de Huawei, certes ayant encore un peu de retard, mais étant issue d’un pays d’un milliard et demi d’habitants contre 24 millions pour Formose et moins d’un milliard dans une zone en décadence intellectuelle. Mais qu’à cela ne tienne, les signaux d’une volonté de déclenchement d’une guerre outre-Atlantique sont nombreux et forts. Certains affirment même que le temps presse, car après 2027 les États-Unis auraient cédé leur soi-disant supériorité militaire.
Si cela devait advenir, nous aurions quelque chose qui ressemble à s’y méprendre à une opération de l’OTAN contre une bonne partie des BRICS et donc quelque chose de mondial. Il ne manquerait plus qu’une action malheureuse envers le Venezuela pour enflammer la fraction sud du continent des Yankees pour couronner le tout.
Arrivons-en à la considération d’un acteur charnière dans cette potentielle épopée et voyons le dilemme qui se pose à lui. Il s’agit bien évidemment de la Turquie. Elle fait partie de l’OTAN, mais ne s’entend pas vraiment avec sauf à attendre que Erdogan soit remplacé par une marionnette de Washington, ce qui reste possible et peut-être même probable. Ce qui est en jeu est le contrôle de l’Asie centrale, turcophone et en contact immédiat avec Russie et Chine. Certains pourraient encore envisager d’essayer d’enfoncer un coin via la Mongolie.
Regardons la carte ci-dessus et remarquons, dans ce schéma, l’importance de l’Iran qui demeure une barrière «naturelle» à l’expansion turque avec l’Arménie, un point chaud actuel s’il en est, puisqu’elle empêche un pont direct avec l’Asie centrale via l’Azerbaïdjan et la mer Caspienne. L’Iran, d’ailleurs, semble ne pas s’y tromper, qui ne veut pas de changement de frontière de l’Arménie et la question reste de savoir le jeu exact interprété par l’Occident qui cherche à se rallier le plus vieux pays chrétien du monde, lequel vient, d’autre part, d’adhérer à la CPI. La Turquie va-t-elle basculer dans le camp des BRICS ? Si oui, quel en sera le prix pour elle côté ouest et côté BRICS ? Ou alors tentera-t-elle de renforcer l’OTAN en se déguisant en doux agneau en attendant des jours «meilleurs» ? Nous voyons bien, là, le caractère inflammatoire de la situation qui ne demande qu’à dégénérer devant les appétits de certains.
Bien entendu, dans ce qui précède, nous avons été loin d’être exhaustifs, il faudrait plus qu’un livre pour prendre en compte tous les paramètres si tant est que cela soit possible. Mais nous sommes assez naturellement amenés à considérer à nouveau cette stratégie de la Rand Corporation qui s’intitulait «overextending Russia». Nous nous sommes déjà exprimés sur le sujet, mais, comme nous l’avions expliqué à l’époque, la tactique des BRICS pourrait consister à renvoyer en boomerang un «verextending NATO». Et là, le terme overextending est à prendre dans un sens bien plus large que celui de la Rand, qui ne prisait que la géographie. Il s’agit ici de l’espace physique, bien sûr, mais aussi de productions intellectuelles et industrielles. À ce jeu, l’OTAN est «en état de mort cérébrale» depuis longtemps. Non seulement, à court terme, elle ne peut pas tenir trois fronts en même temps, si tant est que l’on doive en considérer 3, alors qu’en réalité, dans une confrontation OTAN-BRICS il n’y en a qu’un, mais elle a déjà perdu la bataille industrielle. Pour l’intellect, là encore nous l’avons largement évoqué dans de précédentes publications, le système éducatif occidental, woke, n’apprend plus rien aux élèves et est donc condamné à l’échec.
Il y a néanmoins un point essentiel que nous n’avons pas encore abordé et qui semble particulièrement important pour nous, Européens. L’OTAN est une structure hiérarchique avec un seul leader, une pensée unique et une exécution singulière. Cette structure est cohérente et apparaît alors sur le papier, efficace. De l’autre côté, multipolarité oblige, la diversité est au rendez-vous. Il y a relativement peu d’accroches entre des Iraniens, des Chinois, des Russes, etc. Mais si la partie est bien jouée, chacun, dans une opération de soutien, peut apporter sa brique. Par exemple, les drones iraniens produits en Russie sont très performants dans le conflit ukrainien. Cette diversité, gage, dans la nature, de résistance accrue aux différentes maladies voire aux parasites, est totalement absente de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Ainsi, une optimisation contre un adversaire pourra se révéler être une extrême faiblesse contre un autre. Est-ce grave docteur ? Oui, car alors la tentation est grande de se sortir du guêpier dans lequel on s’est mis à l’aide de l’arme absolue, le nucléaire.
Il faudra bien un jour juger les dirigeants européens de notre époque qui, en se vassalisant lamentablement vis-à-vis de Washington, ont largement augmenté le risque de conflagration nucléaire mondiale. Il vaut mieux un petit chez soi qu’un grand chez les autres dit le proverbe, surtout quand le grand chez les autres s’effondre ou va le faire très bientôt.