Washington aux partenaires de Pékin : «Sacrifiez-vous pour m’aider à endiguer le Dragon»
Dans un contexte où Washington a désigné Pékin comme un rival géopolitique systémique, l’administration américaine s’efforce de remodeler en sa faveur le paysage géopolitique mondial. Elle recourt, pour ce faire, aux instruments diplomatiques classiques – sans cesser de recourir à des mesures unilatérales ou de coercition.
Corollaire de l’instrument diplomatique, le volet médiatique occupe une place prépondérante dans la politique antichinoise de Washington. Porte-voix de la géopolitique américaine, les médias occidentaux se chargent de faire adhérer l’opinion publique au narratif américain selon lequel la Chine constituerait une menace géopolitique majeure.
Ces outils médiatiques et diplomatiques sont utilisés par Washington pour servir un même but : garder la main sur le niveau de coopération que développe la Chine avec les pays tiers, et maintenir ou réaffirmer l’omnipotence des États-Unis sur les affaires mondiales.
L’endiguement de la Chine par voie médiatique
La justification des offensives diplomatiques américaines à l’encontre de Pékin se fait abondamment par voie médiatique, où la stratégie américaine d’endiguement de la Chine porte des noms plus évocateurs pour le grand public.
Le discours médiatique met régulièrement l’accent sur l’impératif de préserver les démocraties libérales face au modèle autocratique incarné par Pékin, et de défendre les «valeurs occidentales» contre les entorses aux droits de l’homme attribuées à Pékin. Ce portrait au vitriol de la deuxième puissance économique mondiale laisse penser que le volet idéologique continuera de faire partie intégrante de la stratégie américaine d’endiguement de la Chine, et que l’appui américain aux mouvements séparatistes – à Taiwan, à Hong Kong, au Tibet et dans le Xinjiang – se poursuivra comme moyen de pression politique et économique contre Pékin.
Les médias occidentaux insistent aussi sur la nécessité de réduire la dépendance économique à l’égard de Pékin et de se protéger des infiltrations technologiques chinoises. Ces mêmes médias se font l’écho de l’accusation américaine selon laquelle la Chine inonderait les marchés occidentaux de véhicules électriques et de panneaux solaires à cause d’une «surcapacité» déloyale dans la production. Une accusation qui fait corps avec le projet du bloc occidental de renouveler son modèle économique au moyen des énergies vertes.
Cette hostilité envers Pékin – et les mesures protectionnistes drastiques qui s’ensuivirent – traduit le refus de Washington de tolérer un compétiteur de l’envergure de la Chine sur un marché économique mondial que le bloc occidental domine sans partage depuis des décennies. Ce volet de la stratégie américaine vise aussi à écarter l’Union européenne comme producteur d’énergie verte, comme débouché des véhicules électriques chinois à bas prix, et donc comme compétiteur potentiel de Washington.
Quant au narratif relatif à la nécessité de garantir la sécurité et la liberté de circulation maritime dans l’espace stratégique d’Indopacifique, il vise à justifier la pression militaire exercée par Washington dans le voisinage immédiat de Pékin.
Sur Taïwan, Washington continue d’entretenir l’ambiguïté : on reconnaît l’appartenance de Taïwan à la Chine – comme énoncé clairement dans les trois communiqués conjoints –, mais on défendra Taïwan en cas de réunification imposée par Pékin. Cette entorse à la logique a été renouvelée par Antony Blinken au lendemain de sa dernière visite officielle en Chine. En attendant, Washington entretient des relations diplomatiques avec l’île et continue de lui vendre des armes, en violation des accords conclus avec Pékin.
En s’appuyant sur l’ensemble des éléments qui précèdent, les médias occidentaux se chargent aussi de légitimer les décisions américaines unilatérales, telles que l’imposition de sanctions hors cadre onusien, que ce soit contre les partenaires de Pékin, comme la Russie, l’Iran et la RPDC, ou contre la Chine elle-même.
Les structures multilatérales dominées par Washington
À quelques membres dissidents près, les structures multilatérales dominées par Washington, telles que l’OTAN, le G7 et l’UE, ont adhéré à la stratégie américaine d’endiguement de Pékin. Bien que les sanctions antirusses adoptées par ces mêmes blocs ne portent pas le nom de «découplage avec la Chine», elles n’en servent pas moins le même objectif : détruire les ramifications de la puissance chinoise.
Affronter la Chine suppose de bannir le bilatéralisme et d’adopter des positions communes : tel est le mot d’ordre des structures multilatérales dominées par Washington. On retrouve ce mot d’ordre dans la «Stratégie à l’égard de la Chine» adoptée en 2023 par Berlin : «Notre stratégie à l’égard de la Chine est fermement ancrée dans la politique commune de l’UE à l’égard de la Chine».
Seul pays du G7 à avoir signé la BRI, l’Italie a dû renoncer à ce projet après moultes pressions exercées par ses alliés, qui ont accusé Rome de trahir le bloc occidental en voulant ouvrir à la Chine l’accès à l’Europe centrale et orientale et au flanc sud de l’OTAN. De même, le narratif américain selon lequel la technologie 5G du chinois Huawei constituerait une menace à la sécurité nationale des pays de l’UE a eu raison des accords signés entre le géant chinois et plusieurs pays européens, dont le Portugal. Dans la même veine, il vaudrait sans doute la peine d’étudier les paramètres politico-médiatiques qui ont fait basculer la Tchéquie dans une posture particulièrement hostile à Pékin depuis l’arrivée au pouvoir de Petr Pavel, ancien président du comité militaire de l’OTAN.
Mais il arrive aussi que Washington ne parvienne pas à ses fins. La Hongrie – qui s’apprête à assumer la présidence de l’UE – et la Slovaquie n’ont pas fléchi devant les pressions de l’UE et de l’OTAN pour découpler leurs économies avec la Chine. Le projet de supprimer le vote à l’unanimité dans l’UE pour les questions de sécurité nationale vise justement à mettre fin aux velléités d’indépendance de ces membres. Le premier ministre slovaque, Robert Fico, a relaté dans une déclaration récente les pressions dont son gouvernement a fait l’objet pour avoir refusé de s’aligner sur les politiques de l’UE et de l’OTAN. Le dirigeant slovaque a même pointé la responsabilité des partis d’opposition, porte-voix de l’OTAN et de l’UE dans son pays, dans la tentative d’assassinat dont il fut l’objet.
En dehors de ces membres «dissidents» – ou attachés à leur souveraineté –, il est clair que Washington exerce une domination quasi-totale sur le G7, l’OTAN et l’UE.
Les structures multilatérales où siègent des pays du Sud
La situation est plus nuancée dans les structures multilatérales hybrides, telles que le G20, où siègent des pays du Sud, ou les structures entièrement dominées par les pays du Sud, telles que l’ASEAN. Dans ce genre de structure, il n’est pas aussi aisé pour les États-Unis d’imposer leur stratégie d’endiguement de Pékin.
Lors du dernier sommet du G20, présidé par l’Inde, la déclaration finale n’incluait pas, comme l’aurait souhaité Washington, une condamnation des actions de Moscou en Ukraine. L’absence de Xi Jinping de ce sommet visait peut-être deux objectifs : laisser à New Delhi l’opportunité de parler au nom du Sud global, en entérinant l’adhésion de l’Union africaine au G20, et éviter que les pays occidentaux ne fassent endosser à la Chine la responsabilité de la déclaration finale.
Dans une structure telle que l’ASEAN, emblème de la région stratégique d’Asie du Sud-Est, et caractérisée par différentes orientations politiques, les États-Unis ne sauraient unifier les positions des dix membres contre Pékin. Au lieu de cela, Washington s’efforce de développer de nouveaux partenariats ou d’approfondir les partenariats déjà existants (alliance sécuritaire avec les Philippines ; partenariat stratégique intégral avec l’Indonésie…), avec comme arrière-pensée d’exacerber les tensions entre la Chine et ses voisins, et d’entraver l’ascension de la Chine en Indopacifique et au-delà.
Logiquement, les accords de défense conclus dans le cadre de ces partenariats bilatéraux se répercutent ensuite sur la Chine et l’ASEAN. Dans ces conditions, le vœu chinois d’établir un Code de conduite en mer de Chine méridionale, qui exclurait l’ingérence de puissances étrangères à la région, ne semble pas près de se réaliser. En empêchant le consensus entre membres de l’ASEAN, les États-Unis veulent contraindre la Chine à négocier séparément le règlement de ses différends territoriaux et maritimes avec chacun de ses voisins – en sachant que la stratégie américaine consiste précisément à empêcher Pékin et ses voisins de parvenir à un accord.
Mais la situation est moins fluide qu’il n’y paraît pour Washington. Soucieux de ne pas devenir, à leur détriment, des instruments de la stratégie américaine d’endiguement de la Chine, plusieurs membres de l’ASEAN ont opté pour une politique de diversification de leur diplomatie et de leur économie. C’est le cas notamment du Vietnam, de la Thaïlande, de l’Indonésie ou de la Malaisie – et même de l’État de Brunei, bien conscient de l’importance de sa position stratégique. La Thaïlande et la Malaisie ont même exprimé le souhait de rejoindre le groupe des BRICS : plus que l’expression d’un non-alignement sur les positions américaines, ces éléments enlèvent de la légitimité à la stratégie d’encerclement militaire de la Chine par les États-Unis.
Cet affaiblissement indiscutable de la position américaine sur la scène géopolitique mondiale laisse entrevoir sous un autre angle la décision de Washington de jouer son va-tout pour préserver son hégémonie – notamment en brandissant la menace de Taïwan.
Les guerres féroces en cours en Europe et au Moyen-Orient complètent le tableau. En sacrifiant l’Ukraine, Washington espère affaiblir le partenaire stratégique de Pékin, la Russie. En confiant à Israël la mission innommable de perpétrer un génocide dans les territoires palestiniens, Washington fait la démonstration, à son détriment, que les partenaires historiques des États-Unis dans la région d’Asie de l’Ouest, tels que l’Égypte et l’Arabie saoudite, n’appliquent plus les directives de Washington avec autant de zèle que par le passé. À l’instar des voisins de la Chine, ils cherchent à équilibrer leurs relations avec les grandes puissances afin de donner la priorité à leurs intérêts nationaux.