La guerre tarifaire de Trump : la Chine détient-elle la main gagnante ?
La Chine a considérablement renforcé son arsenal économique et stratégique pour faire face à la nouvelle guerre commerciale lancée par Donald Trump.
Voici une analyse de la manière dont la Chine est préparée à la guerre commerciale lancée par Donald Trump, des outils dont elle dispose, et de la façon dont ses leviers juridiques, économiques et géopolitiques – sans oublier le facteur temps – pourraient faire d’elle la grande gagnante de ce conflit commercial.
La Chine était prête aux sanctions
Dans un éditorial publié par le Quotidien du Peuple (journal officiel du Parti communiste chinois), Pékin a exposé clairement sa stratégie :
- Les tarifs étaient attendus et planifiés, avec des réponses de contingence déjà intégrées à la stratégie économique chinoise.
- L’impact sera gérable – la dépendance des exportations chinoises aux États-Unis a fortement diminué (de 19,2% en 2018 à 14,7% en 2024), tandis que les ventes domestiques représentent désormais 75% des revenus pour la plupart des exportateurs.
- Les tarifs sont perçus comme une opportunité stratégique – pour renforcer l’autonomie technologique, accélérer la consommation intérieure et renforcer l’image de la Chine en tant que force stable dans une économie mondiale de plus en plus erratique.
L’éditorial se conclut par une citation de Xi Jinping : «L’économie chinoise est une vaste mer, non un petit étang».
Quels sont les atouts de la Chine dans cette guerre commerciale ?
- Tarifs – mais de manière plus intelligente et sélective
La Chine a augmenté les tarifs sur toutes les importations américaines à 125% en représailles. Cependant, plutôt qu’une approche de réciprocité brutale, elle cible des secteurs et des entreprises ayant un effet de levier ou une symbolique politique (par exemple, l’agriculture, les entreprises liées à la défense).
- Contrôles à l’exportation sur les matériaux critiques
Ces mesures touchent durement les secteurs technologiques et de défense américains, en particulier les domaines comme les semi-conducteurs et la fabrication avancée, où les entreprises américaines dépendent des chaînes d’approvisionnement chinoises.
Ce sont des outils asymétriques, car les États-Unis n’ont pas de substituts immédiats pour certaines terres rares et matériaux spécialisés.
- Listes noires et «liste des entités peu fiables»
La Chine dispose désormais d’une liste croissante d’entreprises américaines interdites d’opérer ou de commercer en Chine. Initialement symbolique, cette liste devient de plus en plus stratégique.
Des géants de la défense (Lockheed, Raytheon) aux marques grand public (PVH, Illumina), la liste noire a des conséquences concrètes et n’est plus seulement un geste politique. La Chine a inscrit Lockheed Martin et Raytheon Missiles & Defense sur sa liste noire en 2023 pour leur implication dans des ventes d’armes à Taïwan.
- Guerre réglementaire : enquêtes antitrust et retards
Un outil que Pékin utilise de plus en plus pour atteindre ses objectifs géopolitiques est sa réglementation antimonopole. Les enquêtes réglementaires sur des entreprises comme DuPont, et le blocage délibéré de fusions (comme l’échec de l’acquisition de Tower Semiconductor par Intel), montrent comment la Chine utilise les règles antitrust comme une arme, tout comme les États-Unis.
De plus, le régulateur antitrust chinois examine un accord qui transférerait le contrôle de deux ports au Panama de CK Hutchison, contrôlé par la famille du milliardaire hongkongais Li Ka-shing, à un groupe d’investisseurs dirigé par l’Américain BlackRock.
La Chine a introduit la liste noire en 2019 en réponse à l’inscription par les États-Unis du géant des télécoms Huawei Technologies sur leur propre liste noire. Les entreprises jugées «entités peu fiables» par Pékin sont interdites de faire des affaires avec des entreprises chinoises ou d’investir dans le pays. Elles peuvent également faire face à des restrictions telles que des interdictions d’entrée pour leur personnel de direction.
- Accès au marché comme levier
La Chine offre toujours le plus grand marché de consommation au monde. De nombreuses multinationales américaines – des constructeurs automobiles aux entreprises de biotechnologie – y sont profondément implantées. Le marché intérieur consomme 75% de la production totale de la Chine.
Reconnaissant la nécessité de réduire la dépendance aux exportations, la Chine intensifie ses efforts pour stimuler la consommation intérieure. Le gouvernement a élargi les mesures de relance budgétaire, y compris un programme de 300 milliards de yuans visant à encourager l’achat de biens de consommation tels que les véhicules électriques et les appareils électroménagers. Cette initiative stimule non seulement l’activité économique, mais s’aligne également sur le virage stratégique de la Chine vers une économie axée sur la consommation, réduisant ainsi la vulnérabilité aux fluctuations commerciales extérieures.
- Manœuvres financières et stabilité du yuan
Contrairement aux crises précédentes, la Chine évite les mesures auto-préjudiciables telles qu’une dévaluation majeure du yuan ou la vente massive de bons du Trésor américains.
Les importantes détentions de titres du Trésor américain par la Chine ont été un point focal dans les dimensions financières de la guerre commerciale. En décembre 2024, les avoirs de la Chine ont diminué à 759 milliards de dollars, reflétant une diversification stratégique des réserves de change. Bien que des inquiétudes existent quant à l’impact potentiel de ventes massives sur la stabilité financière des États-Unis, de telles actions pourraient également affecter les intérêts économiques de la Chine, indiquant une approche prudente.
Les avoirs de la Chine ont diminué progressivement depuis leur pic de plus de 1,3 billion de dollars en 2013. Les analystes suggèrent que certaines des détentions de dette américaine par la Chine pourraient être détenues via des comptes de garde dans des pays comme la Belgique et le Luxembourg, ce qui pourrait sous-estimer le total réel.
La Chine est-elle prête à jouer gros face à Trump ?
La réponse est un grand oui, et avec une confiance croissante. Sous la direction de Xi Jinping, la Chine a tiré les leçons de la guerre commerciale de 2018-2020, et a endurci ses institutions pour encaisser les chocs sans céder à la panique. Elle a mis en place une panoplie d’instruments juridiques, économiques et géopolitiques pour infliger des coûts à ses adversaires tout en maintenant la stabilité à l’intérieur de ses frontières.
Voici des exemples des outils déployés par la Chine, répartis selon les catégories juridiques, économiques et géopolitiques :
- Instruments juridiques
Ce sont des outils réglementaires et législatifs destinés à restreindre ou sanctionner les entreprises étrangères opérant en Chine ou en lien avec elle :
- Enquêtes antitrust : Pékin a intensifié ses enquêtes sur des entreprises américaines comme DuPont, souvent sans justification légale transparente – une méthode pour exprimer son mécontentement politique.
- Liste des entités peu fiables : Elle limite ou interdit à certaines entreprises d’investir, de commercer ou même d’envoyer du personnel en Chine. Des géants comme Lockheed Martin, Raytheon, PVH (Calvin Klein) et Illumina y figurent – preuve que la Chine lie ses leviers juridiques à des différends stratégiques plus vastes.
- Instruments économiques
Ces mesures visent directement le commerce, les chaînes d’approvisionnement et l’accès au marché, dans le but de provoquer un impact financier ou opérationnel :
- Contrôles à l’exportation de matériaux critiques : La Chine restreint les exportations de métaux essentiels comme le gallium et le germanium, indispensables à l’industrie high-tech et à la défense américaine.
- Ripostes tarifaires : Face aux droits de douane américains (montés à 145% sous Trump), Pékin a imposé des tarifs sur une large gamme de produits américains, touchant désormais 125% des importations.
- Menaces sur l’accès au marché : Des entreprises comme Intel ou Tesla font face à une incertitude croissante quant à leur capacité à opérer, voire à se développer, sur le marché chinois.
- Instruments géopolitiques
Ce sont des manœuvres diplomatiques et des alliances économiques destinées à réduire l’influence des États-Unis et à élargir le réseau de partenaires de la Chine :
- Diversification des partenariats commerciaux : Pékin renforce ses liens économiques avec l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine et l’Europe pour compenser la baisse des échanges avec les États-Unis. En Asie du Sud-Est – notamment avec le Cambodge, la Thaïlande et le Laos – la Chine facilite l’accès au marché et favorise les transactions en yuan, dans le cadre de sa stratégie de dédollarisation. L’ASEAN considère désormais la Chine comme son premier partenaire commercial.
- Blocage d’accords mondiaux : Pékin utilise des tactiques réglementaires pour faire capoter certaines fusions internationales impliquant des intérêts américains. Exemple emblématique : le refus d’approuver l’acquisition de Tower Semiconductor par Intel, non pour des raisons de concurrence interne, mais comme message géopolitique.
- BRI et blocs commerciaux alternatifs : L’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie (BRI) et la montée en puissance du RCEP (Partenariat régional économique global) sont au cœur de la stratégie de Pékin. Le RCEP, plus grand accord commercial au monde en termes de PIB (30%) et de population (30%), vise à réduire les droits de douane, harmoniser les règles commerciales et approfondir l’intégration régionale, sans la participation des États-Unis.
Grâce au RCEP, la Chine s’impose comme pivot de l’architecture économique de l’Asie-Pacifique, tandis que les États-Unis s’engagent sur une voie plus protectionniste. Ce cadre favorise également le commerce en yuan et les initiatives de dédollarisation.
En conclusion
Avec un arsenal étoffé pour affronter la guerre tarifaire de Trump, l’Empire du Milieu tient une main gagnante. Et surtout, la Chine n’a pas besoin de gagner rapidement – elle doit seulement tenir plus longtemps. Plus le conflit s’éternise, plus les entreprises américaines s’inquiéteront des ruptures de chaîne d’approvisionnement, des pertes de parts de marché et de la lassitude internationale face aux tarifs trumpiens – des facteurs qui pourraient finir par jouer en faveur de Pékin.
La Chine joue également la carte de la technologie sur le long terme. Avec des plans tels que Made in China 2025, elle vise à réduire drastiquement sa dépendance vis-à-vis des technologies américaines. Ce n’est pas un simple slogan, mais une stratégie soutenue par des investissements massifs, des politiques industrielles et un appareil institutionnel mobilisé.