Washington avertit Pékin et ses partenaires : «La Bombe ne sauvera pas la multipolarité»
Dans un contexte d’instabilité mondiale croissante, la quête agressive de Washington pour la domination nucléaire et géopolitique menace les fondements de la multipolarité – et la Chine en est pleinement consciente.
Dans un contexte où la Chine ne montre aucun signe de capitulation face à la guerre hybride du bloc atlantique, on peut présumer que Pékin a minutieusement étudié le système nerveux de l’Empire américain du XXIe siècle, et possède désormais les moyens de priver l’hégémon américain des propriétés de l’oiseau-Phénix.
Trois décennies se sont écoulées depuis le virage réformiste impulsé par Deng Xiaoping. L’actuel état du monde révèle que ce virage n’a pas seulement garanti le développement économique de la Chine : il a aussi matérialisé la vision d’un monde anti-hégémonique, telle qu’elle fut articulée par le père de l’indépendance chinoise.
Les adversaires géopolitiques de la Chine contemporaine ont saisi sur le tard les enjeux de ces transformations. Grisés par l’ouverture du marché chinois aux capitaux étrangers, qui leur a garanti des décennies de retours sur investissement titanesques, les oligarques impérialistes, Gilgamesh en quête d’immortalité, ont affiché une gueule de bois au sortir de l’opulence extrême-orientale, en découvrant que leur suprématie post-Guerre froide était en fait fondée sur la délocalisation vers la Chine de leurs capacités productives, la désindustrialisation des pays occidentaux, et le déclassement de leurs forces de travail.
De cette gloutonnerie systémique découle la majorité des crises mondiales que nous connaissons. Allergiques à l’idée d’une redistribution plus équitable des richesses, à l’industrialisation des pays en développement, et à la participation des puissances émergentes à la gestion des affaires du monde, les oligarques du bloc atlantique, obnubilés par le souvenir de leur omnipotence, ont décidé d’investir leurs capitaux spéculatifs dans l’industrie de la destruction – entreprise facilitée par la cécité géopolitique de l’élite européenne.
La souveraineté relève de l’exceptionnalisme américain
L’intransigeance de la diplomatie américaine, qui joue la surdité face aux revendications légitimes de la majorité mondiale, révèle que Washington se trouve aujourd’hui dans l’impasse. Il va de soi que la Chine aussi bien que le bloc des BRICS n’accepteront pas d’avaliser la primauté des intérêts de Washington sur leur droit à la souveraineté, au développement et à la sécurité. Dans ces conditions, la seule issue pour l’Empire américain est la destruction – du droit, de la diplomatie, des forces militaires adverses.
Les résolutions de l’ONU obtenues par consensus, entravent-elles les guerres de conquête impérialistes en Asie de l’Ouest ? Il suffit d’accuser l’ONU d’apologie de terrorisme et de se confectionner un droit sur-mesure. Les règles de libre-échange régissant l’OMC, empêchent-elles Washington de rivaliser à armes égales avec la Chine ? Il suffit d’accuser Pékin de concurrence déloyale, et de basculer vers le protectionnisme. L’utilisation du dollar comme une arme de coercition, pousse-t-elle les BRICS à envisager un système monétaire moins inique ? Il suffit d’accuser le bloc multipolaire de révisionnisme et de brandir la menace des droits de douane.
L’on a pu voir aussi que, lorsque Washington décide d’imposer ses conditions par la force, la diplomatie n’est qu’un folklore à l’adresse de l’opinion publique. L’expérience amère du Panama illustre à quel point la souveraineté est une notion relative : Trump revendique la propriété du Canal et déclare vouloir y stationner ses troupes ; il conteste la participation du pays au projet BRI, et menace d’intervenir militairement si les dirigeants ne plient pas. De quelle marge de manœuvre peut disposer un pays tel que le Panama ? – Et lorsque Washington n’a pas les moyens d’imposer ses conditions, comme c’est le cas avec l’Iran, les «négociations» sont tout au plus un moyen de tromper la vigilance de l’adversaire avant de le poignarder dans le dos – avec l’aide de son sicaire régional : Israël. La défiance de Téhéran est si exacerbée que le pays conditionne la reprise des négociations à la garantie qu’il ne sera pas à nouveau bombardé pendant les négociations.
Diplomatie et négociations ont donc été vidées de leur sens, puisque tout est perméable, et que même les accords signés prennent l’eau aussitôt conclus. Dans son rapport qui expose les relations commerciales entre la Chine et les États-Unis, Pékin révèle que Washington, non seulement travestit les statistiques en sa faveur, mais n’a pas honoré ses engagements commerciaux envers la Chine. Et que dire de l’accord de cessation des hostilités entre Israël et le Hezbollah, supposément garanti par les États-Unis et la France, qui a été transgressé près de 4000 fois par Israël depuis sa signature !
Dans ce contexte d’instabilité chronique, tout laisse à penser que Washington et ses satellites s’activent pour gouverner par voie de fait accompli, en tournant en leur faveur les situations de statu quo (Palestine, Golan, Sinaï, Chypre, Caucase du Sud, Taïwan, îles Malouines…) qui prévalent depuis des décennies. Dans cette course contre la montre, le bloc atlantique brave toute dissuasion, y compris nucléaire. À tel point que Washington, Londres, Paris et leur rejeton israélien, semblent aujourd’hui engagés dans un projet de dénucléarisation de leurs adversaires géopolitiques, y compris Pékin et Moscou.
Il n’est pas sans intérêt de revisiter certaines déclarations et actions du bloc occidental. En mars de cette année, le G7 a une nouvelle fois exhorté la RPDC à renoncer à l’arme nucléaire, suscitant une vive réaction de Pyongyang. Le même mois, en marge du «Raisina Dialogue», des représentants de l’Union européenne ont exprimé leurs inquiétudes face à la possession d’armes nucléaires par Pékin et ont souligné la nécessité de surveiller l’arsenal nucléaire chinois. Deux mois plus tard, Abdullah Khan, membre de l’Institut d’études sur les Conflits et la Sécurité du Pakistan, a révélé que les drones israéliens avaient tenté de saboter les installations nucléaires du Pakistan au cours du dernier conflit armé entre Islamabad et New Delhi. Et l’on se rappelle enfin que, dix jours avant l’assaut israélo-américain contre l’Iran, la Russie a subi une attaque «ukrainienne» à plusieurs branches contre ses bombardiers nucléaires.
Il serait surprenant que Pékin ne ressente pas une forme de paranoïa, alors que Washington s’entête à vouloir imposer, non seulement, sa domination économique et technologique, mais aussi son hégémonie nucléaire.
L’Union européenne, un instrument clé aux mains de Washington
On peut légitimement questionner le rôle des dirigeants européens dans cette fuite en avant vers le désastre. La dernière Conférence de Munich sur la Sécurité a été perçue par beaucoup comme une humiliation des dirigeants de l’UE par Washington. Pourtant, cette rencontre a révélé aussi le talon d’Achille de la nouvelle administration américaine.
Sans consensus des partis libéraux-démocrates européens avec les ultra-conservateurs et les nationalistes, l’équipe de Trump n’aurait pas les moyens de sa feuille de route géopolitique : voilà en substance ce qu’a exprimé à Munich le vice-président américain. Ses envolées lyriques sur l’attachement de Washington à la liberté d’expression ne visaient qu’à faciliter la formation d’une coalition transatlantique autour du projet néo-militariste de Washington, La paix par la force, où le narratif anti-immigration est appelé à jouer un rôle central. En d’autres termes, la mission de J.D. Vance consistait à garantir un plus grand espace politique et médiatique aux partis européens d’extrême droite.
Il s’agissait pour l’équipe MAGA de s’assurer le soutien des Européens sur trois fronts : l’atténuation (jusqu’ici verbale) des hostilités contre Moscou, dans l’idée de briser l’axe Moscou-Pékin ; le soutien aux guerres de conquête israéliennes en Asie de l’Ouest pour entraver la Chine et le projet BRI (ce qui appelle un narratif antimusulman) ; et la formation d’un Pacte de défense en Asie-Pacifique, en réhabilitant le narratif du «péril jaune», afin d’isoler la Chine et d’enrayer l’ascension d’un ordre anti-hégémonique.
Le chantage du chef du Pentagone aux alliés de l’OTAN répondait à la même logique : le maintien du parapluie nucléaire américain sera conditionné au renflouement des caisses de l’OTAN, c’est-à-dire, du complexe militaro-industriel américain – laissant à entendre que le recours à l’outil militaire est une priorité absolue pour Washington.
Il est notable que les partis libéraux-démocrates européens, calquant leur discours sur celui du Parti démocrate américain, sont tous favorables à la poursuite de la guerre larvée de l’OTAN contre la Russie (c’est moins le cas de l’extrême-droite). En revanche, l’on observe des nuances dans leur soutien aux guerres israéliennes : s’ils acquiescent presque tous au nettoyage ethnique de Gaza, en invoquant le «droit d’Israël à se défendre» contre un peuple occupé, ils se montrent plus divisés quant aux autres agressions israéliennes (Liban, Syrie, Irak, Yémen, Iran), ou face aux plans américains de harcèlement de la deuxième puissance économique mondiale dans son espace vital.
À l’évidence, les Européens n’ont pas exploité les leviers de pression que cette situation leur offrait, se cantonnant, une fois de plus, aux limites fixées, depuis Washington, par les camps démocrate et républicain. Ils avaient pourtant les moyens de couper court à la farce de l’«Autonomie stratégique» pour élaborer enfin une «Stratégie autonome», en rééquilibrant le positionnement de l’UE entre les deux premières puissances économiques mondiales ; en se désolidarisant de l’expansionnisme israélien, illégal et génocidaire ; et en se démarquant de l’attentisme américain à l’égard de Moscou, pour proposer une architecture de sécurité européenne qui tienne compte des intérêts vitaux de leur voisin de palier.
Au lieu de cela, l’élite européenne s’est enlisée dans ses jeux de dupes. L’annonce par Macron d’une conférence internationale (annulée in extremis) pour la reconnaissance d’un État palestinien, avait-elle pour but d’accorder plus de temps à Netanyahou pour peaufiner l’hécatombe ? Visait-elle à tromper l’Iran avant l’agression israélo-américaine ? Ou s’agissait-il d’un levier de pression face à l’interventionnisme militaire de Washington avant le sommet de l’OTAN – «Aidez-nous à poursuivre la guerre contre les Russes, et nous vous aiderons contre les Arabes, les Iraniens et les Chinois» – ? Fatalement, cette conférence imaginaire jette le doute sur les vraies raisons qui ont poussé Macron à renouer le dialogue avec Moscou.
Et si l’annonce de cette conférence visait à contester les dictats budgétaires du Pentagone, le succès ne fut pas davantage au rendez-vous : le président français et ses principaux homologues de l’UE ont, en effet, reculé sur tous les fronts, laissant le talon d’Achille de Washington intact. – N’est pas Pâris qui veut !
Il s’ensuit que Washington pourra continuer à compter sur ses satellites européens pour perfectionner son industrie pluricontinentale de la destruction – y compris de la prospérité de l’UE -, dans l’espoir de freiner l’essor de la Chine et la sortie de la pauvreté du Sud global. Dans l’espoir d’être un oiseau-Phoenix, en somme.